Charlotte Janis
Vue d'atelier Wonder/Zenith - Crédit Photo : Salim Santia Lucia, 2020

Quelles sont vos influences ?

Multiples. Elles suivent la courbe des choses que je vis puis s’imbriquent les unes dans les autres, laissant dépasser un petit morceau de chacune de ces périodes. Leur fil conducteur c’est le récit. 

Les livres sont indéniablement un moteur. Enfant, je commence à dessiner pour mettre en images les romans que je lis, j’ai besoin de voir ces mondes en « vrai », et en les dessinant, je m’en empare. 

J’étais complètement obsédée par des classiques old school comme Les Misérables ou Cyrano de Bergerac. 

Après je plonge dans la BDs, suis foudroyée par Crumb et Moebius. 

À La Sorbonne, je participe et dessine les mouvements sociaux, du coup je regarde les dessinateurs de presse comme Reiser, Bretécher, Steinberg. Et puis je lis plein de choses en vrac qui nourrissent encore mes dessins aujourd’hui. Ça va des essais à L’Echo des Savanes et Fluide Glacial, de Deleuze et Agamben à la SF, à London, Camus, Kafka, de Beauvoir, Balzac, Pasolini, Miller.

Puis, je tombe amoureuse du cinéma d’animation, de Len Lye et Florence Miailhe, des films allemands de Robert Wiene, du Bauhaus, ça a amené plus de matière dans mes dessins, j’ai commencé timidement à peindre pour les films, et puis à peindre tout court. 

J’ai fait des liens entre la narration, le dessin et la peinture. J’ai regardé Max Beckmann, Ensor, Topor, Goya, Redon, Trouille, Toulouse Lautrec, Picabia, Lüpertz, Ernst et plein plein d’autres. 

Tous les jours, je regarde beaucoup d’images et comme je ne retiens jamais rien je les archive systématiquement. 

Aujourd’hui je lis de la poésie, je suis portée par Éluard, du Bouchet, Mandelstam, Celan, Char, Rexroth, Ponge, Stétié … Je suis inspirée par ce qui me fait réfléchir : les lieux, les rencontres, la littérature, la presse, la politique, le collectif, la mer, l’arbre et l’amour.

Vos obsessions ?

Comme les influences, il y en a plus d’une. Je passe ma vie à voir des petits films dans chaque chose que je regarde. Je dis film car toute image qui m’est provoquée par quelqu’un, une situation, un lieu, ou une idée devient une histoire, avec un début et une fin. 

Au milieu, il y a un développement, un mouvement, une narration : un sens de lecture. 

Ça vient de la bande dessinée peut être. J’utilise ce ‘moment’ et j’en fais un motif, que je répète et décline sur différents médiums de façon justement un peu obsessionnelle jusqu’à ce que je tombe sur un autre objet qui m’attrape. 

Concernant les obsessions je suis obligée de parler des Escalators car j’ai pensé à eux tout l’hiver. J’ai un truc avec les escaliers qui sont un motif récurent de mon travail depuis longtemps. Plus jeune j’ai dessiné des échelles et des escabeaux, et puis des escaliers. 

En 2015, j’ai eu un accident en me cassant la figure et la boîte crânienne dans des escaliers. Ça a dû ironiquement inscrire encore plus le motif dans mon cerveau. 

Dernièrement, j’ai pris des décisions pour avancer, et puis quelques semaines plus tard je réalise que je suis compulsivement en train de dessiner des Escalators, qui ne sont autre que des escaliers mécaniques. Ce sont des escaliers qui avancent plus vite, qui portent les humains, et dans ma tête leur mouvement roulant fait passer ces humains sous la ligne d’horizon comme des fantômes, et puis les fait réapparaître en bas des marches : penser à ce cycle m’a réchauffée tout l’hiver. 

Les peindre, les dessiner, les animer, les laisser m’obséder, c’est une façon pour moi de mieux comprendre les choses que je vis, essaye de toucher, aime, et veut quitter. 

Voila une (des) obsession(s). 

Parlez-nous de l'une de vos réalisations ou expositions dont vous êtes le/la plus satisfait(e) et/ou qui vous a rendu(e) heureux(se)

Je préfère souvent le processus et les recherches engendrées par la réalisation que le résultat final de mes images. Ça me provoque un peu de stress de montrer ce qu’il s’est passé à l’atelier, mais je pense que je fais des images aussi pour les gens, pour qu’elles soient partagées, et provoquer des réactions, alors je suis contente de les sortir de la grotte.

Le 11 juin dernier, j’ai été invitée à participer à l’expo collective orchestrée par Antonin Hako, artiste plasticien et ami, avec lequel je partage un atelier au sein du collectif Wonder dont je fais partie depuis 2 ans. L’expo était le début du chapitre 2 « Sans Sursis » de son projet NTR.TKT : il lançait une immense montgolfière cousue et peinte par ses soins, et il a invité quelques artistes du collectif a montrer leur dernières productions sur le toit du bâtiment que nous venons de quitter, le Zenith à Nanterre. J’ai sorti les grandes peintures ‘Escalators’ que j’ai faites pendant le confinement, les ai accrochées sous les tours de La Défense dont elles étaient largement inspirées, et c’était très émouvant de sertir et faire corps avec l’oeuvre volante d’Antonin et celles des autres résidents dont on avait été séparés pendant le confinement. 

Nous venons de nous installer dans un nouveau bâtiment à Clichy avec le Wonder, je suis sûre que la prochaine expo qu’on organisera sera celle dont je serai la plus satisfaite, jusqu’à la suivante. Et ainsi de suite. 

Emmenez-nous quelque part

Je pense direct à mon lieu : le Finistère. Plus particulièrement à un rocher qui se trouve en bas de chez moi. Je vis aujourd’hui entre Paris et la Bretagne. L’énergie que je ressent ici n’a pas bougé en 32 ans. 

Ce caillou me provoque dans le ventre les mêmes fourmis que quand j’arrivais en vacances ici petite. 

Il est immense, plein de formes et de personnages, ultra doux et accueillant sous un rayon de soleil et en même temps abrupte, sombre et quasi hostile dans les moments de tempête. 

J’adore le contraste et la radicalité de ce coin, qui me tient éveillée, à l’affût. 

C’est précisément là où je pense que nous devrions tous être par ces temps-ci : à l’affût.

Photo principale – Vue de l’exposition collective « Sans Sursis », invitée par Antonin Hako, Wonder/Zenith, Nanterre – Crédit : Salim Santia Lucia, 2020

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