Agathe Abrahami Ferron
Crédit Photo : Antoine Ott

Quelles sont vos influences ?

Certaines injonctions sociales impactent fortement nos vies, aussi bien publiques que privées. Elles ont des effets sur la manière dont nous nous percevons, sur les positionnements politiques, moraux et existentiels que nous choisissons d’adopter ou non, et sur nos façons d’incarner et de ressentir notre propre humanité.
Nulle part ces injonctions ne se font ressentir avec autant d’ambivalence que dans les industries du divertissement, du bien-être et du tourisme aussi sont-elles au cœur de ma pratique, laquelle se nourrit de la réflexion de sociologues et de philosophes comme Yves Michaud, Jean Didier Urbain, Roland Barthes ou encore Jean Baudrillard et Pierre Bourdieu.

Je suis fascinée par les rapports qu’entretiennent les photographes avec le réel. Les démarches documentaires exprimées au travers de parti-pris esthétiques forts et évocateurs m’intéressent tout particulièrement. Je me sens proche d’artistes tels que Martin Parr, Rineke Dijkstra et Richard Avedon.

Je suis une fervente admiratrice des films et documentaires du réalisateur autrichien Urlich Seidl, qui abordent des thématiques complexes (et proches des miennes), ils provoquent chez moi de grands émois esthétiques. Je m’inspire également de cinéastes comme Pasolini, Sorrentino et Ian Lagarde qui ont à mes yeux pour caractéristique de transcender leurs sujets – souvent difficiles – par l’absurde, la poésie et une sorte de monstruosité grandiose.

Vos obsessions ?

Trouver l’équilibre entre une critique sans concession, presque acerbe, de nos modes de vie contemporains et la beauté, la sensualité, la fragilité de l’être. On pourrait dire que je suis obsédée par la nécessité de « trouver les signes justes » afin de rendre visible ce qui ne l’est plus à force d’habitude, parce que trop profondément inscrit dans notre inconscient, ou tout simplement parce qu’il est parfois plus commode de ne pas voir ou formuler certaines choses en vue de mieux vivre son quotidien.

L’absurde semble occuper une place toujours plus grande dans mon travail, qui devient parfois surréel. C’est pour moi une manière de mettre en valeur un propos par ailleurs très terre-à-terre grâce au travail de la sculpture qui me permet de créer une œuvre de toute pièce, de la façonner de manière à exprimer ma propre sensibilité et de la partager avec les autres.

En tant que plasticienne, je suis libre de modifier le réel pour en accentuer certains aspects, le tirer vers le rêve, la poésie, en faire ressortir le sublime comme le vulgaire, la violence comme la délicatesse, le comique comme le tragique, le grotesque comme la grâce. J’aime jouer avec ce mélange d’attraction et de répulsion, avec l’ambiguïté en fait, parce qu’en ce qui concerne mes sujets rien n’est jamais univoque.

J’ai envie de créer de grandes installations immersives dans lesquelles on pourrait non seulement suivre une trame narrative, mais aussi appréhender les différentes dimensions de la céramique, c’est ce dont j’ai envie.

Ce qui m’attire le plus dans la sculpture c’est sa mise en espace je crois, c’est ce rapport direct, « cru » que l’on peut proposer au spectateur. Une sculpture s’appréhende de manière physique, presque charnelle.
La céramique est une discipline formidable, à la fois familière et méconnue, hétéroclite, millénaire et avant-gardiste, utilitaire et purement esthétique…elle est constituée de multiples facettes qui restent – de mon point de vue – encore assez cloisonnées, comme autant de techniques qui n’auraient rien à voir les unes avec les autres. J’aimerais exploiter au maximum la richesse exceptionnelle de ce matériau qui offre des possibilités infinies. Je trouve ça très excitant.

Parlez-nous de l'une de vos réalisations ou expositions dont vous êtes le/la plus satisfait(e) et/ou qui vous a rendu(e) heureux(se)

« Woolloomooloo Bay », ma première expo personnelle au pôle culturel et centre d’art la Graineterie. J’ai pu déployer mon travail sur ses 300m2 d’exposition et me confronter par la même occasion à mes envies, repousser les limites de ma technique et explorer d’autres médiums avec des installations sonores, olfactives et vidéos. J’ai pu m’exprimer à l’échelle 1, en proposant une sorte de bref arrêt sur image d’un monde étrange, consumériste et néo colonial.

Cette expérience m’a aidée à prendre conscience de certains partis pris, à la fois conceptuels et formels déjà présent dans mon travail, et à les assumer.

Emmenez-nous quelque part

Je pense à la plage bien sûr, c’est le point de départ « historique » de mon travail. Il s’agit d’un espace étrange où l’intimité s’expose et se mélange à ce qui est de l’ordre du public. C’est un endroit qui n’est malheureusement pas accessible à tout le monde, mais reste fortement connoté et convoque l’imaginaire collectif.
Pour ceux qui y sont allés, la plage est aussi souvent reliée à des souvenirs très personnels.

C’est un des rares endroit public où l’on exhibe son corps, où l’on fait l’expérience d’une proximité extrême avec de parfaits inconnus tout en respectant les limites normalement convenues dans les espaces communs. Elle est synonyme de loisirs, de relâchement et de liberté mais aussi de tourisme de masse et d’impact écologique.
C’est un lieu paradoxal à plusieurs visages qui est pour moi une source inépuisable d’inspiration.