Corentin Canesson
Crédit photo : Paul Nicoué pour « Connoisseurs »

Quelles sont vos influences ?

Je suis très influençable. Donc elles viennent de partout, il faut sans doute commencer par l’enfance, la famille, les amis, les rêves, la nuit, les nouvelles du monde. Et ensuite si l’on parle du travail, c’est finalement un peu la même chose : l’idée est de mettre sur le même plan un tableau de Bram van Velde, une chanson de Nico, et une discussion d’atelier avec un(e) ami(e)… C’est vraiment une question de mise à plat des goûts, des envies et des désirs, et d’essayer de faire rentrer tout ça dans le travail, au moins pour soi même.

Vos obsessions ?

Pour ce qui est de la peinture, j’ai l’impression que c’est quand même une affaire de couleur, la grande obsession. Quelque chose qui est présent depuis l’enfance, et qui joue sur un équilibre entre le regard et la main qui agit. C’est au moins un rapport de contraste, et puis c’est toujours une expérience assez vertigineuse, on pourrait dire, à la fois sereine, et à la fois violente, mais qui est une expérience de liberté et de plaisir. Donc l’obsession, je dirai que c’est d’éprouver un certain type de sensations par la manipulation de couleurs et par ce qu’on réalise en même temps. Après il y a en plein d’autres des obsessions bien sûr, et on gère comme on peut la manière dont elles nous influencent.

Parlez-nous de l'une de vos réalisations ou expositions dont vous êtes le/la plus satisfait(e) et/ou qui vous a rendu(e) heureux(se)

Je dissocie quand même énormément les deux (réalisation et exposition), faire des expositions comme artiste ou organisateur m’a toujours procuré énormément de plaisir, peindre également, mais ce sont vraiment deux choses très différentes. En peinture on agit avec une liberté totale et de manière autonome, même si c’est sur un cadre restreint. Dans la pratique de l’exposition on est forcément dans un rapport collectif et donc un rapport d’échange, et, si c’est bien fait, de partage.

Donc pour ce qui est des expositions, même si toutes m’ont beaucoup apporté, et que tout ça est une espèce d’accumulation, l’exposition personnelle « Rétrospective My Eye » que j’ai eu au Crédac en 2017 reste vraiment importante dans le sens ou j’ai le temps, l’accompagnement et les moyens idéals pour faire tout ce que je voulais faire : produire une série de tableaux, un disque avec mon groupe, et inclure d’autres œuvres et invitations dans l’exposition. C’est ce que j’essaye de faire pour chaque projet d’exposition, mais disons qu’ici c’était des conditions de luxe.

Ensuite pour resserrer sur une réalisation, il y a une petite peinture sur papier que j’avais faite en 2011. Il y a le texte «  Juste au bord où les vagues » qui est peint, qui est un fragments du livre Les détectives sauvage de Roberto Bolano. Je l’affectionne beaucoup sans doute pour sa capacité à condenser tout un tas de choses. C’est une peinture avec quelques couleurs vives dans le fonds mais brouillées par une saturation de couleurs de chairs qui inscrivent le texte, je l’avais peinte dans une petite maison au bord de la mer en Bretagne, et je l’ai très vite donné à un ami qui l’aimait beaucoup. J’ai l’impression qu’il y a une espèce de rapport idéal entre la forme et le contexte de tout ça, où au moins en donner le détail me paraît idéal. Est ce que c’est une « bonne peinture » ? Sans doute pas, et ça n’a aucune importance finalement, mais je l’ai souvent en tête quand je commence quelque chose.

Emmenez-nous quelque part

Et bien on va rester au même endroit, mais un peu plus loin dans le temps : au bord de la mer, à la fin de la journée, après s’être beaucoup baigné, et puis je vais juste citer Brigitte Fontaine, et ce sera parfait :

Belle abandonnée
Au désert bouillant
Tu m’as fait pleurer
Quand j’étais enfant

Vert pâle adoré
Vieux rose béni
Ocre doux aimé
Cramoisi chéri

C’est l’après-midi
Encore en été
Et l’on se relit
Les yeux dilatés

Grand jardin sauvage
Rempli de frissons
Pour les anciens pages
Et les robinsons

Ah comme on courait
Au milieu des buis
Ah comme on aimait
Les goûters de fruits

La chaleur se calme
Et la sueur sèche
Un souffle de palme
Rase l’ombre rêche

Infantes fardées
Pour quelque intermède
Duègne grisée
Dans son tutu raide

Cheval attelé
Lourd et fatigué
Dans les rues cendrées
Des étés passés

Et le sang sifflait
Dans les courses folles
Les enfants brillaient
Amour sans paroles

Légende Photo :

Exposition “Doc/ Printemps 2019” (avec Juliette Roche) – Crédit : Paul Nicoué