John Fou
Crédit Photo : Romain Darnaud

Quelles sont vos influences ?

Mon point de départ dans le monde de l’Art a été le spectacle vivant, plus précisément le cirque. J’ai quitté le domicile familial en 2003 pour entrer dans une école de cirque à Genève, en tant que jongleur, puis dans une autre école à Toulouse qui m’a finalement fait découvrir la danse et le théâtre.

J’évolue dans ce milieu depuis plus de quinze ans en tant qu’interprète pour différentes compagnies, et si j’ai abandonné le cirque pour la danse et le théâtre, il reste très présent dans mon univers et dans ma façon de concevoir la peinture.

Il y a dans le cirque une frontalité et un rapport à la “performance”, un côté kitsch et clinquant.

Je me rends compte que mes compositions picturales peuvent ressembler à des figures de jonglage.

Pour vous donner un exemple, quand je jetais une balle derrière mon épaule et en même temps deux balles par-devant, je trouvais un grand plaisir à élaborer un stratagème pour les rattraper.

Et c’est ce ludisme qui me nourrit dans mes compositions où, si un corps s’emmêle avec un autre il faut que ça circule, il faut trouver un chemin qui donne une fluidité à l’ensemble ! (Sans que ça tombe bien sûr !)

Le premier peintre qui m’a donné envie a été Robert Combas, par ses formes, ses motifs surchargés, sa palette de couleurs et ces centaines de détails qui composent ses peintures et crée en moi une curiosité ludique. J’ai été transporté, très imprégné et surtout j’ai eu l’impression que “moi aussi je pouvais le faire”, ça m’a permis de désacraliser la peinture, de me sentir légitime et de ne pas être écrasé par le poids de l’histoire de l’art.

Énormément d’artistes m’inspirent et ce que je remarque c’est qu’ils sont rarement proches de mon univers ou de ma palette de couleurs, ce sont souvent des opposés, cela dit je n’en fais pas une règle.

Aujourd’hui la fascination que j’éprouve dans des œuvres opposées à ma pratique me donne beaucoup de force pour développer la mienne.

Quand je regarde les jus et les couleurs éthérées de Jill Mulleady (que je trouve absolument fantastiques et d’une profondeur extraordinaire) je me sens plus que jamais en puissance pour affirmer mes couleurs vives et en matière !

Plus que tout, c’est l’affirmation d’un peintre qui m’encourage à m’affirmer moi-même !

Je cite les couleurs et les personnages de Bob Thompson, Jason Fox, Georgia O’Keefe, Marc Chagall, Leon Golub, l’inventivité d’Ella Kruglyanskaya, la douceur de Xiny Cheng ou la frontalité de Miriam Cahn, la liste est longue…

Vos obsessions ?

Comme dirait mon père “s’il y a une volonté il y a un chemin” et quand je pense à mon parcours d’artiste visuel je ne peux pas mieux expliquer mon rapport à la pratique de la peinture.

Je m’amuse à dire qu’étant donné que j’ai commencé la peinture tardivement il faut que je m’active, j’ai du retard à rattraper.

Chaque tableau me permet de faire des “trouvailles” et d’obtenir “des clefs” pour la suite.

Chaque “chantier” entrepris est une pierre qui construit l’édifice et je suis souvent surpris de ce que je découvre en la posant, une forme, une couleur, une texture c’est ce qui me donne de l’énergie pour aller à la suivante.

Je suis rigoureux, je travaille quasiment tous les jours et même si certains jours sont plus obscurs que d’autres, l’important pour moi c’est d’être à l’atelier.

Pour être honnête je n’ai jamais eu cette énergie dans le spectacle vivant, créer un objet que je peux toucher et qui perdure dans le temps

Parlez-nous de l'une de vos réalisations ou expositions dont vous êtes le/la plus satisfait(e) et/ou qui vous a rendu(e) heureux(se)

Entre Mars et Septembre 2019 j’ai énormément développé la pratique du portrait d’après photo. Cette obsession est survenue en découvrant le travail d’Alice Neel à New York début 2019, j’y ai retrouvé des portraits d’une grande liberté et j’ai eu la même impression qu’avec Combas, c’est-à-dire que je me sentais capable d’y arriver moi aussi, que c’était accessible.

En voyant cette exposition j’ai tout de suite eu envie de capter cette humanité, comme elle y arrivait si bien, et puis je dois dire que certains sujets qu’elle avait traités me rappelaient énormément la gueule d’un metteur en scène avec qui j’ai beaucoup aimé travailler et avec qui j’avais un rapport d’amour platonique (j’en parlerais éventuellement dans une autre interview).

En a résulté une exposition, de portraits donc, intitulée ” Portraits de Mars à Septembre”

Cette exposition m’a permis de développer une force de travail que je soupçonnais à peine et m’a donné un énorme point de référence sur la suite de ma pratique et c’est en ça que j’en suis fier, d’ailleurs je ne remercierais jamais assez l’artiste Cecilia Granara qui a été d’une grande aide et d’un grand soutien pendant cette période.

Après ça j’ai eu besoin de développer une peinture plus imaginative, une peinture où je ne reproduisais pas une image. Naturellement l’univers du cirque s’est imposé, des scènes où des animaux s’attaquent aux humains, une certaine forme de vengeance liée à la maltraitante des animaux.

Emmenez-nous quelque part

Il y a bien un endroit où j’aimerais vous emmener, un endroit où je vais depuis tout petit. C’est une rivière, une gorge dans les Cévennes, avec des piscines naturelles et des toboggans creusés par l’eau dans la roche.

On s’y rendrait bien à dos d’âne (comme Stevenson dans son roman), chacun garerait sa bête au bord de la route et nous descendrions le sentier pentu pour une petite baignade (à poils).

Légende Photo : “Tigres et chevaux”, exposition collective “So Close” à la Galerie Joseph curatée par Guido Romero Pierini été 2020 – Crédit : Romain Darnaud