Julia Gault
Crédit Photo : Anne - Claire Bourrassé

Vos Influences

Mes influences viennent principalement des espaces où je vis, où j’ai vécu et dont je fais l’expérience quotidiennement. Que ce soit à Rio de Janeiro ou à Pantin – où j’ai actuellement mon atelier – je m’intéresse aux questions liées à l’architecture, au bâti.

Je pourrais résumer cet intérêt au désir et au geste d’ériger des formes toujours plus hautes. Lors de marches dans la ville, mon regard est attiré par les fissures, structures anti-éboulement, murs qui se délitent, des structures d’étaiement … Ce qui me plaît dans ces formes-là, c’est qu’elles sont des indices de points de tensions, de mouvement, et d’une fragilité croissante.

Je dois avouer être fascinée par l’espace du chantier avec tout son vocabulaire formel, des matériaux, des gestes, des rythmes, mais aussi la place du corps face à la monumentalité de l’entreprise.

Le chantier est cet espace de l’entre-deux, le lieu entre la démolition et la construction, celui où la matière se transforme et s’élève.

Ce sont ces questions-là que j’ai eu l’occasion de développer avec l’artiste Raphaël Maman lors d’une carte blanche « L’énigme est de ne pas savoir si l’on abat, si l’on bâtit », une exposition expérimentale, où les formes et les espaces évoluaient au fil de l’exposition autour de 3 phases de chantier.

Ce qui m’intéresse ce sont les désirs de bâtisseurs qui se confrontent aux forces de la nature. Ou plutôt, comment les forces de la nature viennent mettre à mal nos désirs d’édifications.

Je m’intéresse aussi aux liens intimes entre gestes humains et catastrophes naturelles, et à la manière dont l’homme tente de s’en protéger.

Je suis fascinée par les édifices qui défient la gravité et la nature, dans des zones naturelles accidentées et dangereuses, ce moment où le sublime du naturel rencontre celui de l’ingéniosité humaine.

Vos Obsessions

En ce moment, je dirais que j’ai deux obsessions qui sont intimement liées.

Déjà, il y a la transformation des formes. Ou plutôt, le passage d’une forme qui doit tenir debout, tenir bon dans l’espace et dans le temps, qui soudain bascule vers l’informité, pour ensuite redevenir forme, dans une sorte de cycle.

Pour moi, le geste de faire sculpture, celui de dresser une forme est un défi physique, il est contre nature, car il s’oppose à la gravité qui attire tout élément vers le sol.

Ce geste sculptural fait évidemment écho au désir de construire des architectures toujours plus hautes ; une volonté de démesure, de pouvoir et d’éternité.

Ériger la matière, la contrôler, la rendre statique est une forme de résistance et de mise en tension, face à une nature qui n’est que mouvement et transformation.

Mon intérêt se fixe justement au moment où, les forces de la nature rendent à ces formes leur informité.

Dans beaucoup de mes sculptures, je travaille avec cette idée de cycle, dans la manière même dont je les produis.

Comme dans mes pièces en terre vivante, où je vais chercher plusieurs centaines de kilos de terre en forêt, que je ramène dans le lieu d’exposition où crée une forme d’une extrême fragilité.

À la fin de l’exposition, je ramène la terre là où je l’ai prise initialement.

Ou encore avec mes formes en terre de faïence crue, qui se délitent pendant l’exposition : à la fin, je récupère toute la terre pour la ré-humidifier, et ensuite créer de nouvelles formes.

Ma deuxième obsession est liée à l’eau. Cet élément qui est pour moi un symbole d’une nature puissante. Fluide, impermanent, en mouvement perpétuel, informe et insaisissable, il est celui qui fragilise les formes hautes du paysage naturel comme urbain. Les phénomènes d’érosion, d’inondations, de submersion, la construction de digues, sont au cœur de mes recherches actuelles.

En ce moment pour mon projet de résidence à la Ferme du Bois Briard à Evry, je tente de créer des sculptures ou il y a une tension entre liquidité, fluidité, mouvement, et justement une volonté de créer des formes figées, verticales, qui se veulent pérennes.

Parlez-nous de l'une de vos réalisations ou expositions dont vous êtes le/la plus satisfait(e) et/ou qui vous a rendu(e) heureux(se)

Je ne sais pas si c’est celle dont je suis la plus satisfaite, mais il s’agit en tous les cas de l’une de mes dernières installations qui, je crois, cristallise toutes mes réflexions actuelles. Il s’agit de « Où le désert rencontrera la pluie » réalisée pour ma dernière  exposition « Onde de submersion », qui s’est tenue en janvier 2019 à l’Espace d’art contemporain Camille Lambert à Juvisy-sur-Orge.

L’onde de submersion est la vague destructrice qui est produite par la rupture d’un barrage.

Aujourd’hui nous sommes les témoins d’un monde de constructions humaines qui vacille régulièrement, mis à l’épreuve par les forces de la nature. Effondrement de bâtiments ou de ponts, rupture de barrage, tsunami, glissement de terrain, etc. sont des évènements qui malheureusement ponctuent de plus en plus le présent, marqueurs d’une époque qui a voulu dépasser et qui a souvent négligé une nature fragile, mais aussi féroce et indomptable.

L’installation « Où le désert rencontrera la pluie » est composée de différents contenants d’eau – bouteilles, jerricans, bonbonnes, arrosoirs – qui ont été moulés puis tirés en terre de faïence restée crue. Cette pièce met en évidence une impossibilité d’endiguer les forces de la nature.

De par leur matérialité, ces contenants ne peuvent plus rien contenir. Certains sont activés avant l’ouverture de l’exposition, c’est à dire, remplis d’eau au préalable pour amorcer leur progressif affaissement. L’eau rend à la terre son informité première. Ces formes fragiles sont entreposées sur des étagères en acier, qui dessinent dans l’espace une grille rigoureuse verticale et horizontale ; une sorte de collection de vases contemporains. Le motif de la grille, que l’on retrouve aussi bien dans les dessins de villes, de constructions architecturales jusqu’au fer à béton qui vient consolider la matière, que dans le graphique scientifique, est pour moi, un symbole de la rigueur humaine, de sa volonté de maîtrise. Ces étagères froides et d’une géométrie quasi parfaite s’opposent formellement à la déliquescence de ces frêles formes en terre.

« D’un risque de fuite à celui de sa propagation, «Onde de submersion» se lit ainsi comme l’allégorie d’un système en perdition ou le signe d’une civilisation arrivée à saturation. Sa proposition préconise ainsi de faire retour à la terre, de prendre soin du sol sur lequel l’édifice humain repose pour mieux prévenir le risque d’un basculement définitif. Sans céder au catastrophisme ambiant, elle livre en toute simplicité son sentiment sur l’état du monde. Aussi laisse-t-elle ouverte la question de savoir si l’on peut encore colmater les failles, et invite le public à s’interroger : la terre n’est-elle pas déjà en train de se dérober sous nos pieds ? »

Extrait du texte de Florian Gaité pour l’exposition «Onde de submersion» à l’Espace d’art contemporain Camille Lambert, Juvisy-sur-Orge.

Emmenez-nous Quelque part

En 2014, j’ai eu la chance de faire un échange scolaire à l’EAV Parque Lage de Rio de Janeiro. Ce voyage de six mois a été important, particulièrement pour ma pratique qui a été, à partir de là, marqué plastiquement.

Avant ce voyage, je travaillais sur la relation entre l’Homme et le ciel, le désir d’élévation, la volonté de quitter la terre, de dépasser sa condition.

J’avais choisi aussi le Brésil où la spiritualité tient une place importante, et Rio pour cette ville entre montagnes et océan.

Le hasard a fait que pendant ces six mois j’ai habité au sommet d’une favela, et que tous les jours j’ai pu éprouver physiquement cette action de m’élever, de gravir quotidiennement les marches interminables et raides de cette colline pour arriver chez moi. Un rapport brut à un paysage brut et puissant.

C’est là-bas que j’ai réalisé ma vidéo « Le porteur » ou l’on peut voir un homme portant sur son dos un sac de briques, gravir ces mêmes escaliers jusqu’au sommet, en un seul plan séquence.

La favela m’a elle aussi intéressée : cette petite ville dans la ville, ou des personnes viennent construire leur maison sur des terrains interdits à la construction, car trop dangereux : des pans de montagne raides et instables, des marécages où le risque d’inondation est très élevé … Des constructions qui se confrontent à un territoire hostile tentent de le dépasser, résister.

Une nuit, un évènement m’a marqué. Un tuyau d’eau a explosé sous terre et a entraîné un glissement de terrain juste à côté de la maison où je vivais. Il a suffi d’un rien, pour que ce qui était fait pour tenir bon, s’effondre. C’est suite à cet accident que la relation tumultueuse entre l’eau, la terre et la gravité est apparue dans mon travail.

Il y a mon installation « Bien que le monde se renverse » qui fait directement référence à ce glissement de terrain.

C’est là-bas, à Rio de Janeiro, que j’ai compris que si le désir d’élévation était si beau c’est justement parce qu’il existe le risque de chute.

Légende Photo :

Où le désert rencontrera la pluie 2 – 2018 – Terre de faïence crue, acier -Dimensions variables – Pièce unique

Crédit Photo : Laurent Ardhuin