Julien Desmonstiers
Crédit Photo : Salim Santa Lucia

Vos Influences

Il y en a beaucoup tu imagines bien … Disons que je pourrais les classer en deux catégories : les influences malgré moi, et celles que j’ai entretenues. Donc d’un côté l’Océan (l’Atlantique), la campagne autour de Limoges lorsque j’étais petit, le dessin etc.… bref « papa maman » et toutes ces choses qui n’intéressent personne.

De l’autre côté, il y a le mouvement Fluxus dont Jean Michel Alberola m’a parlé lorsque j’étais aux Beaux-Arts, ça m’a profondément marqué. Il y a la bande dessinée aussi, je n’ai fait que ça jusqu’à mes 18 ans.

La littérature a une place importante, j’ai vite compris qu’il n’y avait pas de porosité entre la peinture et l’écriture, et pourtant tous les écrivain.es que j’aime et que j’ai aimés sont des amis précieux lorsque je travaille à l’atelier. J’aimerais avoir en peinture l’exigence et la générosité d’un écrivain.

Ensuite, bien évidement c’est la peinture qui influence le plus ma peinture. Je suis un fou de peinture.

Vos Obsessions

J’en ai pas mal et elles n’ont ni queue ni tête. Certaines sont des textures, les autres plutôt des images prégnantes.

Petit pot-pourri : les vagues, l’accord (plutôt le non-accord) entre le orange et le bleu, la couleur bleue seule, le visage et la texture du masque de fantômes (celui avec Jean Marais), le « vanilla sky » de fin d’après-midi en été, la mélodie de «Tom’s diner” de Suzanne Vega (cheulou…), les œufs, Marcel Proust, les peintures pariétales et les portraits du Fayoum, les abysses, les serpents, les gens qui tombent dans les pommes, l’horizon, l’idée d’une île et les ombres portées.

J’en oublie pas mal, mais si vous êtes un peu codeur vous avez là tous les éléments pour comprendre mieux que moi ce que je peins (j’en ai rarement dit autant !)

Parlez-nous de l'une de vos réalisations ou expositions dont vous êtes le/la plus satisfait(e) et/ou qui vous a rendu(e) heureux(se)

En 2012 j’ai fait une exposition dans la petite Galerie d’Eric Mircher, Rue Saint-Claude à l’époque. Nous n’avons rien vendu, nous n’avons eu aucune presse, et très peu de gens ont vu cette expo. Pourtant c’était un moment très important, un moment de radicalité.

Je travaillais dans des conditions pas faciles, j’avais beaucoup de pièces et je ne savais pas comment les articuler. Quelques semaines avant le vernissage je me suis rendu compte que les toiles figuratives n’étaient pas bonnes, que je m’étais planté.

Il y avait une seule toile qui m’intriguait, il s’agissait d’un motif de parquet de Versailles peint sur une toile d’un mètre sur un, donc à échelle 1. J’avais réalisé ce petit tableau assez vite, mu par une intuition très forte, un besoin de radicalité. J’avais enfin évacué l’idée du sujet, je pouvais me concentrer sur la peinture, il n’y que cela qui m’a toujours intéressé.

Aussi, j’ai proposé pour l’exposition des grandes toiles fraîchement peintes, toutes maitrisées mais absurdes, le tout ressemblait à un accrochage de démonstration de morceaux de parquets comme il y en a l’entrée des magasins de bricolage. J’étais ravi, fier, j’avais 29 ans et je sentais que j’avais réglé un problème, lequel je n’en savais vraiment rien, mais je ne peindrais plus pareil après ça j’en étais certain.

Emmenez-nous Quelque part

Juste après mon diplôme au Beaux-arts, j’ai trouvé mon premier atelier. J’habitais à ce moment-là dans le 15ème. Le matin je partais avec un livre et je prenais le métro jusqu’à la gare de Lyon. De là je montais dans un RER qui m’emmenait jusqu’à Ris-Orangis, dans l’Essonne. A Cinq minutes à pieds il y un lieu qui s’appelait le CAES. C’était des bâtiments immenses qui avaient été une caserne de l’Armée de l’Air jusque dans les années soixante-dix. On disait que c’était l’un des plus vieux squats de France.

La Mano Negra y avait répété et même enregistré leur clip «Mala Vida». L’histoire de ce lieu, qui a hébergé des radios pirates et programmé les premières rave party de la région parisienne serait trop longue à raconter.

Lorsque j’y suis arrivé en 2009 l’ambiance était plutôt morose, les personnes qui vivaient sur place ne parlaient qu’au passé, et pourtant une énergie folle émanait toujours des murs. Il y avait des toxicomanes, des graffeurs, des gitans qui recyclaient de la ferraille, et des artistes qui tâchaient de faire vivre encore un peu le CAES. Je m’entendais bien avec tout le monde. J’ai eu là-bas un premier atelier que je partageais avec mon ami Alexandre d’Huy, puis deux trois autres potes sont venus occuper un atelier pas loin.

Cet endroit était comme une espèce de monstre géant et labyrinthique, vide et pourtant plein de vie. Je me suis rapidement retrouvé seul, il faut bien avouer que les 1H30 de transport qui nous séparaient du centre de Paris pouvaient sembler décourageantes… J’y suis resté presque six ans, changeant trois fois d’atelier.

J’ai vécu la fin de ce squat, un promoteur véreux avait fait la promesse à la Mairie qu’il rréglerait tout, et ça a foiré complètement. Alors que les travaux avaient commencé, que les murs taggés s’effondraient, certains irréductibles continuaient à y vivre et y travailler. Il m’est arrivé de peindre dans un atelier alors qu’une pelleteuse arrachait littéralement le toit de l’espace d’à côté.

Entendons-nous bien j’ai adoré ces années, elles me sont plus chères que n’importe quelles autres depuis, car elles ont été celles durant lesquelles j’ai ddéveloppé tout le vocabulaire avec lequel je travaille encore aujourd’hui.

J’avais mon atelier, grand en plus, presque gratuit, et lorsque je fermais ma porte j’étais envahi par un sentiment de liberté extraordinaire. Je n’ai eu quasiment aucune visite, à part quelques amis. Je travaillais tous les jours et dormais souvent sur place.

Nous avons organisé quelques expositions collectives là-bas, j’en suis très fier.

La fin s’est mal passée, l’endroit perdait son âme et mon ami Abder Darik qui tenait les comptes à bout de bras a été lâché comme «une merde» par ses anciens amis socialistes de la Mairie. Lui et moi on s’est embrouillés et j’ai dû déménager vite, en pleine nuit. Abder est décédé quelques temps après, sans que nous soyons réconciliés.

Je crois que j’ai envie ici de lui rendre hommage et de le remercier, cet endroit et ces années je ne les oublierai jamais.

Légende Photo :

Crédit : Rebecca Fanuele

Exposition “Maison, Sarcophage, Allumettes” en 2018 à la Galerie Christophe Gaillard

https://galeriegaillard.com/artists/8522-julien-des-monstiers/exhibitions/