Quelles sont vos influences ?

Mes influences sont plurielles, d’abord ce sont les personnes qui m’entourent et qui me touchent qui influent sur mon travail. Ce sont des discussions avec mes proches et mes amis artistes sur des sujets qui me tiennent à cœur comme par exemple sur le féminisme ou la technique de la peinture.

Je suis aussi très inspirée par le travail de ces mêmes artistes que je côtoie et qui m’émeuvent : par la manière qu’ils ont de penser, de construire leurs œuvres, de composer les éléments dans l’espace comme des metteurs en scène.

J’aime échanger avec eux sur les procédés techniques qu’ils utilisent pour traduire leurs idées en matière.

De ce point de vue-là, la collectivité en atelier est très stimulante, et permet d’expérimenter tout en étant guidé.

Les personnes qui m’inspirent le plus sont les femmes qui m’entourent, parfois des amies ou des femmes que je rencontre qui me chamboulent par leur beauté mais surtout par leur charme qui s’exprime de plein de manières différentes, physiquement, gestuellement, psychiquement. Dans leur faculté à se livrer, à parler de leurs failles, de leurs forces, dans leurs interrogations, je trouve des éléments qui viennent habiter ma peinture.

À travers elles, je parle aussi de mon propre rapport au corps.

Au cours de discussions avec elles sur des sujets liés au corps de la femme, à la féminité, à la liberté, il y a comme des moments suspendus et alors je me dis « j’aimerais peindre cet instant, le figer, cette phrase qu’elle vient de dire m’a bouleversée ». En général, ces échanges produisent des réflexions personnelles qui mettent plus ou moins de temps à déboucher sur des nouvelles compositions picturales.

Parfois, elles restent longtemps dans mon esprit et il faut le temps que ces réflexions mûrissent, et alors, quelque temps après, un poème, une image, une musique, un caillou peuvent réactiver ce souvenir et l’idée refait surface et s’impose concrètement.

 Je crois beaucoup au temps et au destin qui jouent un rôle à un moment donné pour une raison particulière. Et j’essaye ensuite de comprendre pourquoi il a fallu ce temps-là.

Si je choisis de nommer certains parmi mes artistes préférés, j’ai envie de citer dans un même élan d’admiration Fra Angelico, Boticelli, Ingres, Artemisia Gentileschi, Jérôme Bosch, Rodin, Matisse, Dora Maar, Jockum Nordström, Antonio Obà, Ambera Wellmann, Naudline Cluvie Pierre, Alex foxton, Nathanaëlle Herbelin, Simon Martin, Elene Shatberashvili, Christine Safa…

Dernièrement j’ai aussi été très influencée par les écrits de Virginie Despentes, Annie Ernaux, Mona Chollet, Camille Froidevaux-Metterie, Manon Garcia, Paul B. Preciado.

Vos obsessions ?

Je suis obsédée par la représentation des corps féminins en peinture, et dans tous les arts visuels.

Je réfléchis aussi à la manière dont ils sont mis en scène dans la publicité, le cinéma…

C’est le regard que je pose sur mon propre corps qui se traduit dans mes peintures. Je pense que mon obsession concerne donc la manière dont sont regardés et traités les corps féminins par les autres (et je pense notamment au regard masculin sur ces corps), et aussi la manière dont nous traitons nous-mêmes nos corps.

Je créé des espaces où les femmes qui les peuplent peuvent être pleinement libres, car le regard des autres est quasiment absent quand elles sont seules dans ces espaces oniriques.

Elles n’y craignent donc aucun regard. Non plus celui du spectateur qu’elles ne voient pas. Elles sont protégées par le filtre peinture et c’est seulement grâce a la fiction de la peinture que je parviens à me sentir moi-même totalement libre, comme si je me représentais à travers ces femmes nues.

J’aime toutefois peindre ces scènes de telle sorte à ce que le regardeur puisse présager une menace approchante, ce sont alors des petites métaphores picturales qui font sens à mes yeux, des objets, des petits détails, que je charge d’une valeur symbolique.

Ces éléments pourraient intervenir si le temps continuait dans la peinture, si l’image figée peinte, était un moment qui se poursuivait.

Je n’essaye en aucun cas de chasser cette obsession car elle me nourrit et je pense qu’elle m’aide justement à me réconcilier avec le regard des autres, à m’apaiser, mais tout en prenant conscience du drame, que les corps de femmes ne sont jamais pleinement libres. 

Parlez-nous de l'une de vos réalisations ou expositions dont vous êtes le/la plus satisfait(e) et/ou qui vous a rendu(e) heureux(se)

Ce qui me rend le plus fière c’est lorsque je présente mon travail aux côtés d’artistes que j’admire. Au moment de l’accrochage, je trouve très intéressant de découvrir les liens, les ponts qui ont été imaginé entre les œuvres par le commissaire. Et de réaliser à quel point certains travaux marchent ensemble, ont pour source des réflexions communes, et de pouvoir échanger avec les artistes sur celles-ci. C’est aussi ensuite source d’autres réflexions et donc de création.

Dernièrement j’ai participé à l’exposition organisée par Nicolas Dewavrin au profit de l’association le Refuge qui héberge et accompagne des jeunes LGBT, rejetés par leurs parents et chassés du domicile familial en raison de leur orientation sexuelle. 

Elle m’a rendue fière car j’ai senti que je participais à quelque chose d’utile grâce à ma peinture, avec un très beau groupe d’artistes dont les sensibilités m’ont émue. On a pu présenter nos œuvres à des jeunes de l’association et c’était un très beau moment.

Emmenez-nous quelque part

Je crois beaucoup aux signes qu’il faut écouter et qui n’arrivent pas par hasard, aux intuitions, même si c’est l’esprit qui est à un moment plus sensible à ceux-là, en temps de doutes ou de questionnements sur soi par exemple.

Dans une musique, dans une peinture, dans un poème, les écouter, les regarder et au moment précis où ils jaillissent devant nous, chercher à savoir pourquoi nous touchent-ils tellement ?

Parmi ces jaillissements que j’ai expérimentés dernièrement.

Il y a un passage du poème de Paul Eluard, Répétitions tout près du sommeil exigeant, dans Derniers Poèmes d’amour, Seghers, 1972.

” De nuit entre les yeux de jour entre les jambes

C’est le même palais qui flambe en un instant

C’est un trésor absurde un flot de diamants

Qui provoque l’orage et déchire les reins

C’est la main ignorante et la langue accordée

Pour la première fois sous un ciel féminin

Et le milieu du corps définissant l’orage

Balance de raison pour peser notre vie “.