Quelles sont vos influences ?

Je suis fascinée par ces femmes artistes, actrices, écrivaines de la République de Weimar : Ann-Marie Schwarzenbach, Marianne Breslauer, Theresa Ghiese, Erika Mann…
Je trouve dans leurs œuvres et leurs écrits une source d’inspiration intarissable.

Les peintres de la nouvelle objectivité ont aussi une réelle influence sur mon travail.
Je pense en particulier à Christian Shad, Otto Dix, Rudolf Schlichter, Félix Nussbaum. Ces peintres, chacun à leur façon questionnent l’homme et son destin en rendant compte d’une réalité dont ils sont témoins sans avoir peur de la déformer et de l’exacerber. Il y a un côté très métaphysique dans leur peinture qui décrit à merveille les convulsions de leur époque.

Après mes études d’art, j’ai fait un master de sociologie et il y a justement dans cette peinture une dimension sociologique qui me touche particulièrement. Je pense que d’une certaine manière c’est ce que je recherche dans la peinture, une réflexion sur la société.

Et pour ne pas rester qu’en Allemagne voici également quelques peintres dont je trouve le travail saisissant : Marlène Dumas, Francis Bacon, Edward Hopper, Balthus, Noah Davis, Kerry James Marshall.

Vos obsessions ?

Il n’y en a qu’une : l’humain. Elle, lui, eux.
Et plus précisément les visages, les expressions, les regards, les traits, les marques.
Depuis toujours je ne peux m’empêcher de fixer les gens et de les dévisager.
Chacun porte tant en lui, une histoire, un passé, nous sommes tous d’une complexité extrême.

J’aime passer des heures à peindre un visage et voir apparaître au fur et à mesure une personne, avec tout ce qu’elle porte, le résultat d’une succession de générations.
Je me laisse divaguer tout en peignant, engageant un dialogue inépuisable avec celui ou celle qui est en train d’apparaître. C’est passionnant.

Parlez-nous de l'une de vos réalisations ou expositions dont vous êtes le/la plus satisfait(e) et/ou qui vous a rendu(e) heureux(se)

« Disfiguring, figuring the unfigurable », une exposition dans une centrale électrique désaffectée à Budapest en 2015.
C’était très underground, je n’ai rien vendu mais ce fut une expérience absolument incroyable.
Nous étions trois artistes, Adrian Kiss, un artiste pluridisciplinaire hongrois, Nikita Zabelin, un musicien russe qui réalisa une pièce sonore tout à fait exceptionnelle et moi avec une série de portraits de gueules cassées, sous le commissariat de Janos Marton, Christopher Rayner et Roland Kunos.
Le lieu était absolument incroyable, plus de 1000m2 avec une hauteur sous-plafond de 30 mètres de haut et une atmosphère complètement intemporelle.
Nous avons travaillé pendant deux semaines à l’installation de l’exposition avec une équipe de techniciens hongrois pour monter les éclairages, les hauts-parleurs et les échafaudages sur lesquels étaient suspendues mes peintures.
J’aimerais tant travailler à nouveau sur un projet comme celui-ci, qui sort du cadre stérile des galeries d’art.

Emmenez-nous quelque part

La maison de Craigie Aitchison, un peintre anglais, ami de mon père chez qui nous nous rendions à chacun de nos passages à Londres quand j’étais enfant.
C’était encore du temps où les Eurostars arrivaient à Waterloo. La maison de Craigie était non loin de la gare et nous nous allions directement chez lui.

Entouré de ses quatre bedlingtons il ouvrait la porte et nous posait toujours la même question : ‘what do you want to drink ? Coffee, tea or whisky ?’.
J’aimais bien le fait qu’un adulte me propose de façon tout à fait naturelle si je voulais boire du whisky à 9h du matin.

Excentrique, homosexuel, issu d’une famille de Lords, allant sur ses quatre-vingts ans, Craigie avait une allure tout à fait hors du commun.
Une mèche tinte en noire au beau milieu de ses cheveux blancs, des pantalons de flanelle et des chaussettes colorées à pois.

Les murs de la maison étaient tous peins en rose et couverts de bibelots tous aussi étranges les uns que les autres, beaucoup de nature religieuse.
Son atelier était situé au dernier étage de la maison.

Des dizaines d’animaux sculptés dans du bois se promenaient entre les toiles en cours disposées sur différents chevalets.
Des oiseaux rentraient parfois par les fenêtres qui donnaient sur un petit jardin avec un arbre gigantesque dont les racines tentaculaires menaçaient la maison de s’écrouler.
Dans le basement une table était toujours dressée, comme si un grand dîner allait avoir lieu avec une douzaine de couverts. Craigie m’installait toujours dans sa chambre.
Je m’endormais dans son grand lit à baldaquin entourée des quatre bedlingtons, bercée par le bruit des conversations que je percevais au loin et qui prenaient fin au petit matin.

Légende Photo :

” Fragments of Life ” Exposition personnelle 12.03.2020-02.05.2020, Kristin Hjellegjerde Gallery, Berlin