Vincent Laval
Crédit Photo : Mathilde Cazes

Quelles sont vos influences ?

Je pense à,

Francis Hallé pour ses découvertes colossales sur la botanique et sa volonté́ immarcescible de transmettre (Il vient d’ailleurs de créer La Fondation Francis Hallé, qui vise à recréer une grande forêt primaire qui traverserait l’Europe. C’est fou ? Chiche ! ),

Antoine de Saint-Exupery pour avoir écrit Le petit prince,

Rei Naito pour avoir conçu l’œuvre Matrix,

Giuseppe Penone pour sa capacité́ à tendre un fil délicat entre nous et les autres éléments,

Caspar David Friedrich pour ses paysages fascinants,

James Turrell car il a cette capacité́ d’amener dans un autre univers,
John Muir car c’est un aventurier des bois, un amoureux du sauvage,

Thomas Rain Crowe car il a sans doute été plus loin que Henry David Thoreau à Walden,

David Nash, Wooden Boulder, incroyable,

Ralph Waldo Emerson pour avoir écrit La nature,
et bien d’autres…

Il n’y a pas d’ordre.

Vos obsessions ?

La forêt, la forêt et encore la forêt. Je passe énormément de temps dans la nature à marcher, observer, écouter, penser.

Ce qui m’obsède ce sont les instants marquants. Je ne leur cours pas après, j’attends la rencontre, l’instant d’émerveillement ou au contraire de désarroi. Il n’y a pas de règles. C’est fascinant d’observer cette cohabitation juste ; chaque élément trouve la place qu’il lui est dû, quand l’humain ne s’en mêle pas trop. J’y cherche les marqueurs d’équilibre ou de déséquilibre au cœur de ces espaces où la vie est tout autour. Parfois quelque chose sort du cadre de la fluidité́ environnante et marque l’œil. C’est souvent là qu’il faut regarder avec attention car parfois des trésors s’y cachent.

Parlez-nous de l'une de vos réalisations ou expositions dont vous êtes le/la plus satisfait(e) et/ou qui vous a rendu(e) heureux(se)

Chaque œuvre vit sa propre histoire, mais une réalisation m’a marqué en particulier. “Plus loin dans la forêt” est ainsi importante dans mon jeune parcours car elle a su interpeller en retour. Il y a un an de cela Agnès b.faisait l’acquisition de cette sculpture qui a été exposée lors de l’exposition inaugurale La Hardiesse à La Fab, la fondation Agnès b. .

J’ai ainsi pu voir le regard de nombreux visiteurs, amateurs d’art ou simples curieux, se poser sur cette sculpture qui a nécessité́ plusieurs mois de travail. J’avais aussi la possibilité́ de parler de ce qui m’anime, la vie avec le sauvage et sa préservation. Evoqué par un symbole important de l’alliance entre habitat humain, et vie avec la nature, une cabane, un symbole de tout âge en particulier de l’enfance.

J’avais là l’opportunité de créer un lien entre le regardeur et la forêt, de montrer à quel point la nature est là, à quel point elle n’attend rien d’autre qu’on la considère, qu’on l’estime, que l’on oublie de l’oublier, qu’on la protège de nos activités, souvent de nous-mêmes, voir même que l’on vive avec.

Drôle de clin d’œil du passé pour le futur.

Emmenez-nous quelque part

Je vous emmène ici, auprès d’un végétal qui nous vient du néolithique, qui a vécu tant d’histoires, de tempêtes, qui a su résister à tant d’épreuves et qui est là, gracile, traversant le temps. Je vous emmène auprès d’un arbre.

Cet arbre, c’est Old Tjikko, le plus vieil arbre du monde, un épicéa. Cela fait 9500 ans qu’il vit au cœur du Dalarna, un territoire au climat difficile ; le plus froid de Suède. Au cœur de la réserve naturelle FulufJället, il perdure sur un plateau rocheux, à travers la glace hivernale, le vent perma- nent et ce depuis la fin de la dernière période glaciaire. Difficile à trouver, Old Tjikko est une quête qui se mérite. Il y a deux ans de cela, j’ai passé 5 mois en Suède, 5 mois à rêver de cet arbre, de cette rencontre. Mais il y a des moments dans la vie ou le rêve est plus faible que la réalité. Ce face à face a été un bouleversement.

Francis Hallé dit que : « Si le mouvement est le royaume de l’animal, le temps est le royaume des arbres ». J’ai eu l’impression à ce moment que j’étais face au temps lui-même. Se retrouver devant cet être qui trône là depuis près de 10000 ans m’a ému aux larmes. Giflé par la conscience de ma condition d’humain mais touché d’avoir la chance d’admirer cette puissance de vivre, je suis resté là trois journées consécutives. Trois jours à accepter que le vent d’ouest ne s’arrêterait pas, que les nuits lumineuses ne dureraient que trois heures, que les secondes seraient des heures, que je serais confronté́ au fait d’être si peu.

Cet arbre c’est un symbole, le symbole de ce que l’on doit préserver, la beauté du sauvage. Souhaitons-lui de vivre 9500 de plus.

Légende Photo : Vue de l’exposition Bivouac, ENSBA, Paris, 2019

Crédit Photo : Jean-Baptiste Monteil