Yvannoé Kruger Directeur artistique de POUSH et Laura Garcia Karras artiste résidente
Yvannoé Kruger Directeur artistique de POUSH et Laura Garcia Karras artiste résidente

Entretien avec Yvannoé Krugger Directeur Artistique de POUSH MANIFESTO

« POUSH » incubateur d’artistes aux portes de Paris. Vu de l’extérieur, c’est une banale tour d’immeuble de 16 étages des années 70 plantée au bord du périphérique parisien qui ressemble à beaucoup de ses semblables. Pourtant, unique en son genre, elle héberge 170 plasticiens qui y travaillent et imaginent leurs futurs projets, avec pour certains une vue imprenable sur le Sacré-Cœur.

7 questions à Yvannoé Kruger son Directeur Artistique pour comprendre l’esprit de ce projet novateur et unique de soutien à la création.

1/ Pourquoi ce nom « POUSH » ?

« Poush » parce que le lieu est tout proche de la porte Pouchet et aussi pour créer une homonymie avec « push », « pousser » en anglais, ce qui traduit l’idée d’un « tremplin » pour les artistes résidents.

2/ Comment est né ce projet ?

Le projet est porté par Manifesto (Yvannoé Kruger est également le Directeur Artistique de Manifesto) qui est une agence de conseil artistique et culturel mettant en relation des artistes et des entreprises, ou des entités qui ont un désir d’art.

Fondée il y a 6 ans par Laure Confavreux-Colliex, entrepreneuse dans le domaine de la culture, et Hervé Digne, financier dans le cinéma, elle participe à des travaux de production artistique et d’urbanisme culturel, souvent dans le cadre du 1 %, comme la direction artistique du Grand Paris Express avec la mise en place de tandems artistes-architectes au sein des 68 gares, le Village des athlètes pour les jeux olympiques de 2024 en lien avec le commissaire indépendant Gaël Charbau, et le quartier de la Tour Eiffel.

L’expérimentation trouve son origine à l’Orfèvrerie de Saint-Denis, https://www.lorfevrerie.com ancienne usine Christofle, devenue une friche occupée de façon éphémère par des artistes plasticiens et déjà orchestrée par Manifesto http://manifesto.paris.

3/ Quel est le fonctionnement du lieu et ses spécificités ?

Après quelques travaux d’aménagement comme la dépose des faux-plafonds et de la moquette, les interventions sur les fenêtres qui étaient toutes filmées, et des petites actions sur les entrailles du bâtiment destinées à enlever tout ce qui entravait le regard, il y a eu une montée en puissance des occupations.

Chaque artiste dispose d’un atelier allant de 15 m2 à 130 m2 qui est loué à un prix raisonnable, entre 11 et 14 € par m2 selon l’étage, et a accès à d’autres services liés à la communication et aux aspects juridiques, par exemple comment bien signer son contrat avec sa galerie, quel est le meilleur statut pour un artiste plasticien … Il existe aussi un service d’accompagnement à la production.

C’est bien là la spécificité de POUSH qui en plus d’accompagner les artistes dans leurs démarches administratives, favorise la communauté et les rencontres, en créant une certaine émulation.

4/ Quel est le mode de recrutement des artistes ?

Ayant travaillé 5 ans au Palais de Tokyo aux côtés de Jean de Loisy (actuellement Directeur de de l’École des beaux-arts de Paris) autour des projets spéciaux, des performances, des festivals, j’ai pu étoffer mon réseau d’artistes.

Je suis donc parti de mon réseau, j’ai contacté une trentaine d’artistes dont certains étaient à l’Orfèvrerie, qui ont accepté de nous suivre pour tester ce type d’espace conçu pour des bureaux. C’est amusant de constater qu’étonnamment les salariés ne veulent plus être dans des espaces de bureaux, mais plutôt dans des friches rénovées façon loft, alors que les artistes qui étaient dans des friches, se retrouvent dans des bureaux. Rapidement nous sommes arrivés à 90 résidents, et après cette première sélection expérimentale il y a eu des appels à candidatures.

On évoque 170 artistes, mais c’est certainement un peu plus si l’on compte les assistants et les sous-locataires, 30 % d’artistes étrangers, qui occupent 7 étages, le 2 ème étage étant dédié aux expositions programmées par les artistes eux-mêmes et les commissaires invités. La moyenne d’âge est de 33 ans avec une parité presque parfaite, il y a un tout petit peu plus de femmes.

5/ Quels sont les objectifs ?

La visibilité des artistes est le nerf de la guerre, notre priorité numéro 1. A ce titre nous organisons des visites de collectionneurs ou professionnels du monde de l’art qui peuvent les aider.

Nous souhaitons aussi tisser des liens forts avec le territoire et les réseaux des écoles d’art et lieux du Grand Paris.

6/ Vous organisez également des évènements et des expositions ?

Effectivement, nous organisons régulièrement, pour les professionnels, des expositions et des rencontres avec des acteurs culturels et du monde de l’art en lien avec des partenaires locaux, nationaux et internationaux pour permettre à certains de se lancer, et pour d’autres, d’affirmer leur notoriété.

Notre première exposition « La Méditerranée », programmée juste avant l’été à la levée du 1er confinement a eu un très beau succès, avec des artistes de collection comme Yves Klein et Joseph Beuys, et d’autres très jeunes comme Appolinaria Broche encore aux Beaux-arts de Paris et Bianca Biondi. Plusieurs acteurs, scientifiques, historiens de l’art et critiques ont été invités à interagir autour de l’exposition envisagée comme in espace-société de permutations et de déplacements.

Il y a des petits espaces qui sont dédiés à des expositions, comme celui de Thomas Havet, architecte de formation, « Double séjour » au départ était un mini centre d’art nomade qui a depuis élu domicile à POUSH.

A contrario, c’est aussi intéressant de constater que les artistes de POUSH organisent des shows à l’extérieur, en invitant d’autres artistes pensionnaires de POUSH, comme Charles Hascoet l’un des premiers résidents qui a organisé en mars dernier l’expo collective « The modern dog painter » au Karl Max Studio rue de Lille.

Si cela est peut-être un peu too much de comparer le lieu à La Factory d’Andy Warhol, on a envie de parler de courant artistique.

Je pense aussi à la collaboration avec Hervé Mikaeloff commissaire invité d’Art Paris reporté en septembre prochain autour de la jeune la scène portraitiste française qui a sélectionné une dizaine d’artistes de POUSH, qui nous permet de proposer un parcours qui reflète la future exposition.

J’ai aussi envie de vous parler de Lisières, exposition que j’ai imaginée sur le thème de la forêt et de la peau avec la magnifique œuvre de Juliette Minchin.

Actuellement je travaille sur deux projets :

– “The raw – the cook”, (le cru, le cuit) exposition en 3 volets autour du repas : le pouvoir du feu sur les aliments, la sublimation par la dégradation, et la dernière partie un peu plus POP sur la mort par Pasteur.

– Le thème de la saison qui est celui de “La frontière”, inspiré du lieu qui est situé entre Paris et la Banlieue, et qui accueille de nombreux artistes étrangers.

En résumé, beaucoup d’évènements sont imaginés et organisés, POUSH est à la fois une sorte de laboratoire et un tremplin pour les artistes qui y séjournent.

7/ Comment voyez-vous l’avenir ?

Notre équilibre est encore assez fragile en cette sortie de crise sanitaire car nous avons offert des mois de loyer. Nous testons actuellement le projet et son modèle économique en essayant de développer d’autres sources de revenus. L’engagement est réciproque, chacune des parties doit faire de grands efforts pour faire tourner ce type de bâtiment avec beaucoup de travaux à faire pour aménager les ateliers. Rien que d’arracher la moquette ou de gérer les déchets sur le site, c’est très complexe !

Nous avons jusqu’à la fin de l’année (les artistes devront libérer les lieux à la fin de cette année) pour expérimenter grandeur nature notre incubateur artistique, nous souhaitons prolonger l’aventure et trouver un lieu pérenne pour bâtir sur le long terme. On visite pas mal de nouveaux lieux, l’idée est de se poser quelques années dans un endroit plus adapté à la production avec des machines et des espaces plus vastes pour la réalisation d’œuvres plus monumentales. Pas nécessairement avec plus d’artistes car le côté humain – collectif est essentiel, et il faut être en mesure de préserver la pratique de chacun.

https://www.poush-manifesto.com